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Et si le mal venait de l'intérieur???

 

On a tendance à dire que les erreurs, les égarements, relatifs aux arts martiaux okinawanais sont le fait des Occidentaux qui n'ont pas compris ce que les maîtres et professeurs d'Okinawa transmettent...

Mais depuis quelque temps, j'ai un avis quelque peu différents...

 

En effet, il ne se passe pas un mois (voire une semaine) sans que je lise de la part d’Okinawanais des erreurs sur la société, l’histoire, la topologie, d’Okinawa, et ce EN RAPPORT avec ses arts martiaux.

Ceci en anglais le plus souvent, et parfois en français.

 

 

Par exemple, il est souvent dit que tel homme du XIXe siècle était un « warrior », c'est-à-dire un guerrier.

Mais il y a un problème, à l’époque, il n’y avait plus de guerre à Okinawa depuis longtemps.

Alors on va me dire que je ne comprends pas (ou que je ne sais pas), car « warrior »-guerrier désigne là une classe sociale, un « ordre » au Japon.

Oui, mais non ! Okinawa n’est pas le Japon, c’est les Ryûkyû. Et justement essayer de coller des concepts japonais (yamato) sur Okinawa (ryûkyû) ça ne fonctionne pas.

 

Et en plus, il n’y a JAMAIS eu d’ordre des guerriers aux  Ryûkyû.

Ni plus ni moins.

 

Bien sûr, il est hors de question d’envisager que dans ce cas « warrior » (guerrier) fait référence à une personne déterminée, au comportement combatif, comme on le dit (trop) de nos jours, concernant un footballeur ou un lycéen qui prépare son bac : « c’est un vrai warrior ».

 

Non, en fait, ces Okinawanais traduisent simplement le terme « busaa » ou « bushaa », écrit 武士 (qui en japonais désigne bien le guerrier, d’abord un homme qui fait la guerre, puis un fonctionnaire quand le Japon devint une terre pacifiée), par guerrier, car ils ont justement ce concept japonais en tête, et surtout (et malheureusement) ne connaissent pas la société de leurs ancêtres. En effet, en okinawanais, busaa désigne un individu qui pratique les arts martiaux (donc le karate) et qui en est un expert.

Il n’est pas du tout question d’un rang social (même si les pratiquants étaient issus de la noblesse) ou d’une spécialité (un guerrier fait la guerre sur un champ de bataille, par définition).

 

Résultat ? Les Occidentaux pensent qu’il y avait des guerriers à Okinawa, et que par conséquent, le karate était une technique des champs de bataille.

Grave erreur !

 

 

Prenons un autre exemple.

Il est commun de lire le nom d’un expert du passé (donc un noble) accolé à son titre : Makabe Udun, ou Asato Dunchi (ou Dunchi[sic] Asato).

On pourrait ainsi penser qu’il s’agit de leurs « prénoms », en fait leurs noms personnels.

En fait, il faut écrire le seigneur d’Asato pour Asato Dunchi, ou le seigneur de Makabe pour Makabe Dunchi.

Encore faut-il savoir que ces nobles « géraient » des terres, qui portaient des noms, comme partout, : Asato, Onna, Gibo etc… et qu’il était le seigneur de XXX, le noble intermédiaire de XXX.

Et cela, les Occidentaux, qui ne le savent pas, reprennent ce que les Okinawanais écrivent.

 

Ainsi, on gomme toute référence, pourtant capitale, à la bonne compréhension de la classe sociale d’où étaient issus les pratiquants de karate du temps du  royaume des Ryûkyû.

 

 

 

 

Et pour finir j’ajouterai la mauvaise habitude prise depuis plusieurs années par les autorités du département d’Okinawa qui décrivent les démonstrations officielles, données en ouverture d’une manifestation, avec le terme de « hônô » 奉納.

Certes, ce mot est peu commun en japonais, et j’ai même connu des Japonais qui ne savaient pas le lire. Soit…

 

Hônô désigne le fait d’offrir, de présenter quelque chose aux dieux ou aux bouddhas.

 

Or, lors des championnats du monde de l’été dernier, on ne trouvait point de bouddhas.

 

 

A droite, dans le pilier, gravé de haut en bas : 奉納

 

 

Pourtant, les katas donnés par les maîtres honorables et méritants étaient qualifiés de « hônô enbu » : démonstration offertes aux dieux, on pourrait même dire « démonstrations sacrées ».

 

Non, il s’agissait juste de démonstrations inaugurales par des figures importantes du monde martial insulaire.

 

Alors pourquoi parler de « hônô » ?

Les Occidentaux ne sont nullement à l’origine de cet emploi malheureux.

 

Mais comme ce terme lié au « sacré », à la religion, est utilisé dans le contexte du karate, si des Occidentaux, qui ne savent pas qu’il s’agit d’une maladresse, le traduisent, ils comprendront que s’agit de « démonstrations en l’honneur des dieux ».

Il ne faut pas s’étonner si après, on entend en France dans les vestiaires des phrases à l’emporte à pièce comme « au Japon, le karate, c’est une religion ! ».

 

 

Avec ces trois exemples qui sont l’arbre qui cache la forêt, vous voyez qu’à Okinawa même, on n’est pas avare en maladresse, en impairs, en erreurs.

 

 

Après, il ne faut pas se plaindre si les Occidentaux ne comprennent pas les arts martiaux de cette île, et sont taxés de « dénaturer le karate ».

 

Pour en apprendre plus sur les arts martiaux okinawanais, lisez

Karate et kobudô à la source