· 

Rencontre avec Higaonna Morio

      Quand je me suis entretenu pour la première fois avec Higaonna en 2015, il sortait d’un grave accident cardiaque.

Alors qu’il m’attendait sur le pas de la porte de son dojo, je l’avais trouvé amaigri, différent. Avec les détails qu’il me donna quelques minutes plus tard sur sa santé, je compris alors que j’avais un survivant en face de moi, et que sa démarche moins assurée que d’ordinaire et son physique fatigué n’étaient pas proportionnels au mal qu’il l’avait foudroyé juste quelque mois plus tôt. S’il avait été un homme normal, il m’aurait au mieux accueilli dans un fauteuil roulant…

 

Il était en tenue. Je me dis alors qu’il alors sans doute me montrer des choses.

Tout suite il chercha à mettre à l’aise, en expert habitué à être interviewé, photographié et filmé qu’il est.

Pas de chichis ou de « je vous montre ou dit cela mais surtout, n’en parlez pas, cela reste entre nous », comme certains de ses camarades me disaient parfois. Il savait que l’enregistreur et la caméra tournaient, et pas une fois il ne m’a demandé de les couper, pour s’exprimer en « off ».

Comme autant de pauses, pour lui comme pour moi, il me demandait parfois de lui prêter ma main pour des exercices de torsions. Il n’hésita pas non plus à me contrôler lors de brèves poussées des mains.

 

Et si, pour être totalement honnête, j’ai connu une façon de faire plus détendue et moins cassante (broyante ?), il n’en était pas moins imprégné de l’élément « relâché » de son école, faisant mentir ceux qui le décrivent peut-être trop hâtivement comme « tout en force ».

Il me fit aussi le privilège de me parler de son attrait pour les armes okinawanaises, ainsi que cela est évidemment rapporté dans Tête-à-tête en mer de Chine, comme tout ce que j’évoque présentement.

 

Je dois dire que j’ai été vraiment frappé par la précision de sa mémoire, tout était clair dans sa tête, rangé, ordonné. Il approchait à l’époque tout de même de ses 77 ans. Assurément, sa fraîcheur physique n’avait d’égale que la vivacité de son esprit.

 

Après qu’il eût prit parfois la conduite des opérations en mains, et au bout de 3 heures intenses, je lui fis savoir que je devais prendre congé de lui, ce qui l’arrangeait car il avait des choses à faire lui aussi… sauf que nous en étions seulement à la moitié des questions que j’avais préparées…

 

Je lui demandai alors s’il avait un autre créneau à m’accorder dans son planning dans les semaines qui suivaient. Il me répondit juste « bien sûr, pas de problème ! ».

 

Une semaine s’écoula et je me disais que j’allais le contacter dans un jour ou deux, mais mon téléphone sonna. C’était lui au bout du fil qui me se demandait pourquoi je ne l’avais pas encore appelé, et donc il me priait de venir dès que je pouvais. «Alors demain, si vous le voulez bien », lui répondis-je sans attendre.

 

Nous ne prîmes pas place dans le dojo, près de son petit bureau, juste au niveau de l’entrée, mais il m’invita à monter chez lui. Il m’offrit un rafraîchissement et montra quelques documents, mais surtout, il me fit savoir que nous allions prendre place dans sa salle d’étude, située au dernier étage de son logis.

 

Nous nous sommes alors assis dans un coin, et je pus reprendre mes questions.

Ce coup-ci, il pouvait illustrer ses dires avec des documents, des écrits.

Je dois avouer qu’il possède un fond documentaire vraiment conséquent, et on peut dire de lui qu’il cultive aussi bien les lettres que les armes, ne sortant pas de la tradition de jadis.

J’oubliais : entre les bibliothèques, il a rangé des présents reçus lors des voyages à travers le monde : pêle-mêle, une élégante toque mongole, une très classieuse parka kazakh, etc…

Durant encore près de trois heures, il m’ouvrit sa mémoire et me fit partager son savoir sur le monde martial okinawanais.

 

Quel(s) moment(s) passés avec lui !!!

Il est évident que je ne fus pas le premier à m’entretenir avec lui de façon aussi intense et approfondie. Je n’en suis pas pour autant peu fier d’avoir pu jouer un rôle d’intermédiaire entre lui et les francophones qui le suivent depuis des décennies et ceux qui découvrent son travail depuis quelques années avec l’avènement de Youtube (comme en Suisse ou au Québec, qui ne sont pas des régions où il s’est beaucoup rendu par le passé.)

 

Au final, il est présent dans 25 pages de Tête-à-tête en mer de Chine !!!

Un record, vu que d’ordinaire, un entretien se déroule sur une dizaine de pages, parfois quinze.

 

J’aurais encore beaucoup à écrire à son sujet, mais plutôt que de dévoiler des aspects de ce passionnant entretien, je préfère m’arrêter ici et laisser les lecteurs se plonger dedans.

 

Pour retrouver ce géant dans une interview exclusive, lisez

Tête-à-tête en mer de Chine