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Le dojo et la maison du maître

On a tendance à penser qu’il est normal de s’entraîner chez dans un dojo à Okinawa… Pourtant, il s’agit là d’un usage récent, qui s’est vraiment généralisé dans les années 1960.

 

Traditionnellement, aux Ryûkyû –l’ancien nom d’Okinawa– la pratique martiale ne s’effectuait pas dans une salle, c'est-à-dire une pièce avec quatre murs et un toits, à l’image de la tradition japonaise, dite yamatu en ces îles.

 

On pratiquait chez le maître, soit dans sa pièce principale soit dans la salle de séjour, en la présence des ancêtres présents dans leurs tablettes mortuaires, ou bien encore dans le jardin.

 

Certaines familles aisées faisaient aussi appel à des maîtres qui exerçaient la fonction de professeurs à domicile, là encore dans le jardin.

 

Ce n’est qu’à partir du courant du XXe siècle que l’usage japonais, alors devenu métropolitain, de pratiquer dans un dojo, sur du parquet, commença timidement à apparaître.

Chibana Chôshin posséda ainsi plusieurs dojos au cours des années 1920 et 1930, tout comme Motobu qui ouvrit un dojo durant un peu plus d’un an à Naha entre 1936 et 1937.

 

Mais les Yabu Kentsû, Mabuni Kenwa et autre Miyagi Chôjun ne possédaient pas de salles d’armes durant la période d’avant-guerre, ni même après pour Miyagi, qui enseignait dans son jardin entre 1950 et 1953, année de sa mort.

 

Ce ne qu’en 1947 que Nagamine Shôshin fonda son dojo à Tomari, ou que Yabi Meitoku ouvrit le sien en 1952 à Naha ou encore Toguchi Seikichi s’établit à Koza en 1954. Uechi Kan.ei fonda son dojo à Nodake en 1949.

 

Puis durant les années 1960, les disciples de ces personnalités reçurent l’autorisation d’enseigner, et lancèrent un processus qui fit boule de neige, entérinant réellement  pleinement cet usage d’enseigner dans un espace « en dur ».

 

 

Alors qu’à la métropole, et surtout dans les milieux urbains, des dojos à la surface étendue et installés dans des immeubles : on pense au siège de la JKA ou bien à celui  l’Aikikai à Shinjuku où c’étaient davantage des instructeurs qui enseignaient, plus que le maître à proprement parler, à Okinawa les experts consacraient un niveau entier de leur logement à la pratique. On pense au Shidôkan de Miyahira ou au Kôdôkan de Matayoshi dont la salle d’entraînement se trouve au rez-de-chaussée, tandis que ces figures vivaient littéralement à l’étage d’au-dessus.

De fait on venait s’entraîner chez eux.

Ceci favorisait les leçons particulières, ou en très petit comité, de façon impromptue puisqu’ils n’avaient qu’à descendre quelques marches pour faire profiter de leurs remarques et corrections des élèves arrivés en avance ou décidés à rester après le cours.

Cet usage existe toujours à l’heure actuelle, ce qui facilite aussi les rapprochements entre les membres du dojo, et cela permet au maître de mieux connaître ses élèves et d’ainsi choisir ceux qui deviendront ses disciples.

 

Par ailleurs, puisqu’ils font bâtir un niveau simplement dédié au karate (plus rarement aux kobudô) pour satisfaire à leur besoin d’espace pour leur enseignement, les maîtres participent à l’économie locale et celle du bâtiment en particulier, puisque, il faut le dire, il possèdent des maisons sur deux, voire trois, niveaux, alors que celui consacré au karate n’est utilisé réellement qu’une dizaine d'heures par semaine. Voilà une preuve de leur dévouement à leur passion puisqu’il dépensent une somme d’argent bien supérieure à ce que leur aurait coûté leur logement sans ce niveau qui sert juste à transmettre ce qu’eux-mêmes ont reçu (et parfois à accueillir les amusement de leurs enfants ou petits enfants, le dojo devenant une salle de jeux), et aussi à organiser des repas donnés pour des évènements liés aux arts martiaux.