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Le chiffre trois dans les arts martiaux okinawanais

 

     On le sait, les pratiques martiales en extrême Asie sont influencées par la pensée confucianiste (oui, même des écoles japonaises de l’époque d’Edo, pourtant perçues comme purement japonaise, que l’on qualifiera d’expression de l’idée de Yamato, étaient aussi marquées par la pensée chinoise, il suffit de constater la place de la morale néo-confucéenne dans le monde des guerriers de la société de la Pax Tokugawa pour s’en convaincre), ainsi que le taoïsme.

 

C’est sur ce dernier courant spirituel que je voudrais revenir aujourd’hui.

 

Ainsi, on retrouve dans le taoïsme des triptyques en grand nombre. Par exemple :

+Les Trois trésors Sanbao de l’Humanité que sont jing l’essence ; qi  le(s) souffle(s) ; shen l’esprit

+La triade : Ciel- Terre -Homme   Tian-Tu-Ren 天地人

 

 

 

Dans la pratique martiale, en Chine, on trouve Sanzhan (Sanzin ou Sanchian dans le sud de la Chine) les TROIS batailles (ou combats).

 

Les Funakoshi avaient mis au point TROIS Taikyoku.

Itosu avait modelé TROIS Naifanchi (Tekki)

 

Dans le karate uechi, on trouve TROIS  katas fondamentaux : Sanchin, Seesan et Sanseeruu.

 

Dans la Gôjû, on a toujours TROIS katas importants : Sanchin, Seesan et Suupaarinpee

 

Trois est en fait un « facteur d’harmonie entre l’Un et le Multiple », comme le dit Anne Cheng [1] (lisez son livre Histoire de la pensée chinoise, c’est le meilleur ouvrage que vous puissiez trouver pour comprendre la Chine. Je l’ai lu en 2002, pour ma part, et ça a tout changé. Ceci grâce à mon directeur de recherche, François Macé). En ce sens, il est donc central dans la pratique martiale qui se veut raisonnée et où chaque élément permet d’en acquérir un autre, de bâtir littéralement sa pratique.

 

A Okinawa, on emploie souvent le triptyque suivant :

chii-chii-shin 形気心 : la forme, le souffle, l’intention.

Chii, c’est la forme (kei en japonais), et en un sens, elle rejoint jing l’essence ; chii, c’est le qi le souffle (ki en japonais) ; et shin, c’est le cœur, qui rejoint shen l’esprit, qui fait écho à yi, l’intention dans les arts martiaux chinois.

Mon maître me disait souvent qu’il fallait mettre du « cœur » [kururu ou shin en okinawanais] quand je faisais un kata. Selon lui la forme chii/kei (xing en chinois) était fondamentale, mais elle devait être pleine de ki, de souffle, d’énergie, et refléter qui je suis, mon cœur (kukuru). Cette implication fait écho à l’intention yi que l’on trouve dans la Grue du Fujian par exemple.

 

Pour finir, cette façon de couper en trois, de classer en trois est très commune en Asie de l’Est. Ainsi, l’Encyclopédie d’Okinawa que j’ai sous les yeux alors que je tourne la tête de mon écran quelques secondes comportent TROIS volumes, pas deux ou quatre ou cinq, nommés selon une nomenclature que les adeptes d’arts martiaux du Japon connaissent bien jô-chû-ge 「上中下」, comme dans JÔdan, CHÛdan et GEdan, les niveaux indiquant où placer les techniques.

 

 

Alors, bien sûr que « 3 » est un chiffre spécial, et il n’est pas besoin d’aller bien loin pour comprendre cela. «Le Père, le Fils, et le Saint esprit », c’est aussi une triade.

A ce sujet, je vous recommande de lire Le Grande Triade de René Guénon.

 



[1] Dans « De la place de l'homme dans l'univers : la conception de la triade Ciel-Terre-Homme à la fin de l'antiquité chinoise », Extrême Orient, Extrême Occident,  1983, pp. 11-22.

 

 

 

 

Pour aller plus loin sur la culture okinawanaise, lisez

Un clan d'Okinawa  - Les Tamanaha de Shuri