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Serait-on devenu puritain à Okinawa?

 

 

           On entend souvent les Occidentaux se plaindre de la chaleur et de l’humidité okinawanaises qui affectent les organismes lors de la pratique dans les dojos.

Il est aussi souligné qu’à cause de la tenue karategi, on transpire deux fois plus !

 

Et ce n’est pas faux.

 

Si ce fameux habit n’était pas fait d’un coton si épais, on transpirerait sans doute moins, bien qu’enfermé dans une pièce en béton armé, par 30 degrés et une humidité de 70% (ce qui donne environ 40 degrés ressentis avec une impression très désagréable).

 

Et bien sûr, idéalement, il ne faudrait pas en porter du tout pour avoir une tenue de sport adaptée à ces conditions extrêmes…

 

Rappelons que le karategi est inspiré en tout point du jûdôgi de la métropole japonaise (dont le Kantô-Kansai constitue le cœur) où il fait beaucoup moins chaud et humide qu’à Okinawa la majeure partie de l’année (sauf juillet-août)…

 

 

 

 

     Précisons ici que les tenues portées par Funakoshi et d’autres pratiquants dans une célèbre photographie de mars 1921 n’étaient pas l’habit de karate d’alors. Il s’agit d’un habit de « fête » consistant en une sorte de hamakama et d’un maillot blanc.

De la même façon, on voit parfois Kyoda Jûhatsu, un bâton long à la main, vêtue d’une tenue noire, une veste et un pantalon. Là encore, point d’habit de karate, mais une tenue portée par les bâtonneurs de Naha ou ceux qui prennent pas au tir à la corde.

 

Il n’y avait donc pas de tenue de karate dédiée avant la guerre !!!

 

Et pour revenir à cette question de la difficulté de pratiquer vêtu d’un épais habit de coton à Okinawa, il faut dire que bien souvent, dans les années 1960-1970, on s’entraînait en short, voire en caleçon !

 

Certes le karategi avait fait son entrée dans le monde martial okinawanais, mais il était porté uniquement pour les occasions importantes : passages de grades, démonstration publiques, entraînement en présence d’un maître important.

 

 

 

 

 

D’ailleurs durant la première moitié du XXe siècle, on pratiquait sans « uniforme » à Okinawa, ce n’est qu’à mesure que le milieu martial japonais fut pris pour modèle que des usages japonais furent introduits à Okinawa…

Encore après la guerre, les dojos où l’on pratiquait en short et torse-nu étaient nombreux.

Et avant la guerre, on portait soit ses habits de tous les jours (donc bien souvent un kimono, un vrai pour le coup : c'est-à-dire une sorte de robe de chambre), soit une tenue dédiée.

 

 

Alors pourquoi de nos jours, mais depuis au moins le début des années 2000, est-on obligé dans l’ensemble des dojo de porter ce gros karategi, source de sueur et parfois de gêne ?

 

 

 

 

Sans doute parce qu’on pense que la semi-nudité n’est pas souhaitable alors qu’on cherche à proposer le karate comme discipline familiale, ou bien que l’on essaye de le montrer comme activité exotique à des touristes, de la même manière qu’ leur offre des ateliers de tissage ou de teinture…

 

Le karategi est aussi un marqueur, qui met de plus tous les pratiquants à la même échelle, en ce sens, c’est bien un uniforme.

Il y a aussi et surtout peut-être le fait que la vision de la nudité par les soldats des Etats-Unis et leur familles, présents en grand nombre durant les années 1960 et 1970, ont influé sur les usages okinawanais, de la même façon que les Occidentaux qui visitaient le Japon central au début du siècle dernier ont de la même façon introduit une vision infamante de la nudité, alors qu’elle n’existait pas au Japon, il suffit de garder à l’esprit que les sources d’eau chaudes étaient mixtes.

 

 

La morale occidentale, et plus encore le puritanisme des Etats-Unis, qui découle du monde anglo-saxon où le protestantisme est majoritaire, ont pénétré la société okinawanaise, c’est un fait.

En plus de manger, s’habiller comme des Etats-Uniens, les Okinawanais ont aussi adopté d’une certaine façon leur vision du monde. Alors bien sûr, il n’y a pas de puritanisme dans les dojos, mais lentement, l’idée qu’il n’est pas acceptable de pratiquer torse-nu s’est généralisée.

 

 

Certes pour certains exercices, comme le kata Sanchin, on tombe la veste, mais cela reste ponctuel et fait en quelque sorte partie du décor.

 

Il reste bien sûr des dojos où l’on invite les élèves à simplement porter un short et un maillot, voire juste un short s’il fait trop chaud… mais ils sont peu nombreux.

 

Etrangement, c’est au dojo des Tomoyose, à Wakayama (à la métropole japonaise, au sud du Kansai), que l’on n’hésite guère à faire une séance entière torse-nu…

 

 

Pour en apprendre plus sur les arts martiaux okinawanais, lisez

Karate et kobudô à la source