· 

Le maître est-il nécessaire ?

Il arrivait qu’il ne pût être présent, et il permettait alors à son (ou ses) disciple(s) le(s) avancé(s) de le remplacer, c'est-à-dire de diriger le cours à sa place.

 

Pourtant, ce n’est pas parce qu’il était là qu’il prenait par la main tous les élèves, à commencer par les débutants.

Il arrivait que le temps lui fît défaut, ou bien tout simplement, il jugeait que l’élève n’avait à cet instant rien à recevoir de lui !

Les débutants, eux, devaient faire leurs preuves : s’occuper du lieu d’entraînement (il n’y avait pas vraiment de dojo à cette époque), montrer un bon fond… et suivre le mouvement, en n’apprenant que le strict minimum : les postures, les déplacements, et au fur à mesure, on ajoutait des éléments : le souffle, les techniques de base.

 

Le maître prenait ses élèves/disciples en charge pour leur enseigner les katas, et peut être les applications de ceux-ci. Le combat, ou plutôt la pratique du combat, c’était une fois que toutes ces bases étaient acquises, et là encore il veillait sur tout cela, voir servait de « partenaire » à ses apprenants.

Mais surtout, le maître était un guide, un modèle pour le disciple/élève. Il l’inspirait à se dépasser physiquement, à devenir une personne meilleure.

Le maître était donc nécessaire pour la pratique physique, mais aussi sur le plan du caractère, voire spirituel.

 

 

 

(g : Quand le maître reconnaît son élève comme un disciple, il commence à le former en profondeur)

 

L’entraînement à Okinawa se faisait (et se fait toujours) beaucoup de façon solitaire. C’était à l’élève de s’appliquer, de remettre sur le métier son travail pour l’affiner. Le maître n’avait pas besoin d’être là. Par contre, de temps à autre, il regardait, vérifiait si tout allait dans le bon

sens.

 

 

Et maintenant ?

A l’heure actuelle, dans la majeure partie des dojos, on procède toujours selon les usages d’avant la guerre, même si l’enseignement en groupe a gagné en importance, faisant qu’une partie de l’entraînement est dédié aux techniques de bases réalisées en commun et en même temps : séries de coups de poing et pied sur place, répétition de techniques présentes dans les katas etc…

Concrètement, le maître prend en main le début de l’entraînement, soit les techniques de bases, qui occupe une bonne partie de la séance. Ensuite, selon le niveau de chacun, des groupes se créent : dans un coin du dojo, quatre élèves peuvent pratiquer les applications des katas, pendant qu’un autre donnera des coups sur la cible de frappe makiwara. Si le maître se rend compte que ce dernier à besoin de conseils, il ira passer du temps avec lui, pour finir par venir voir les quatre autres pour apporter des corrections ou pour simplement contrôler la qualité du travail.

Ensuite, on peut passer aux katas, fait en groupe, ou de façon individuelle, permettant au maître de mieux corriger les détails de forme comme de fond.

 

Il joue aussi un rôle de caution technique et morale vis-à-vis de ce qui se déroule, sans qu’il ait besoin d’intervenir. S’il ne dit rien, c’est que ça va, c’est quand il faut reprendre un élève qu’il prend la parole.

Il faut retenir qu’à Okinawa, les entraînements ont lieu chez lui, dans sa maison. Les élèves sont donc des invités, et les disciples un peu comme des membres de la famille. En tant que « chef » de la maisonnée, il a bien sûr un droit de regard sur ce qu’il se passe, ou sur ce qui ne vaut pas.

 

 

Dans ce contexte, on pourrait se demander quand le maître est nécessaire, autrement dit, puisqu’il ne donne des informations qu’au compte-gouttes –et encore seulement quand des erreurs sont commises– peut-on s’entraîner sans lui, et à quels moments a-t-on besoin de lui?

De façon pragmatique et immédiate, on peut déjà répondre que c’est lors de la préparation de passages de grades, puisqu’à Okinawa, on a adopté l’habitude de faire passer ses élèves devant un « jury » de personnalité de l’école ou de la fédération à laquelle le dojo appartient.

Il a aussi le point des applications des techniques, les fameux bunkai. Souvent, ils ne circulent pas au sein du dojo. Le maître les montre de temps en temps, de façon individualisée, proportionnellement aux progrès de chacun.

Et surtout, il est là pour transmettre les principes de l’école. Alors bien sûr, un élève présent depuis quelques semaines n’y sera pas exposé. Ceux qui ont atteint la ceinture noire pourront y avoir accès, les faisant grandir et en eux à mesure de leur progression dans la voie interne comme externe de leur pratique.

 

(image provenant de http://wingchunrouen.e-monsite.com

/blog/reflexions/ouverture-du-site-de-prenom.html)

 

 

Au final, le maître est bien sûr nécessaire à Okinawa, et la question du titre de cet article était davantage rhétorique.

Il ne faut toutefois pas s’attendre à trouver en lui l’image d’un entraîneur ou d’un animateur. Le considérer comme un garant, comme un maillon dans la transmission permet de davantage saisir son rôle, et surtout ce qu’il peut apporter, en gardant à l’esprit que ce n’est pas le disciple qui choisit son maître, mais l’inverse.

Pour découvrir les maîtres et experts actuels d’Okinawa à travers leurs propres souvenirs et idées, lisez

Tête-à-tête en mer de Chine

 

Et pour en apprendre plus les arts martiaux okinawanais, lisez

Karate et kobudô à la source