Shinzen ou shômen : le divin ou ce qui est en face ?

L'autel du Kôdôkan des Matayoshi. On reconnait l'amulette du sanctuaire de Kashima. En dessous, les trois maximes du dojo.
L'autel du Kôdôkan des Matayoshi. On reconnait l'amulette du sanctuaire de Kashima. En dessous, les trois maximes du dojo.

 

  Suite à un article que j’ai publié sur facebook dédié au kamidana/autel dans les dojos de karate et de kobudô, je voudrais ici revenir sur la façon dont on exécute le salut cérémoniel au début, et surtout à la fin des entraînements dans la majeure partie des salles d’armes à Okinawa.

 

Il faut déjà savoir que l’idée même de « dojo » est étrangère à la culture okinawanaise classique.

Les Matsumura, Itosu, Higaonna, enseignaient où ils le pouvaient : chez eux (soit dans leur jardin, soit dans leur salon quand il pleuvait) ou "en extérieur" comme dans le parc de Shikina ou celui de Matsuyama…

 

Un lieu fermé de quatre murs, avec un toit, et des objets rituels placés dans un autel ou une alcôve, bref un dojo, était étranger à Okinawa.

C’est au fil des décennies du XXe siècle, quand le milieu martial okinawanais prenait graduellement exemple sur celui du Japon central, qu’on vit apparaître ces salles dédiées à la pratique.

 

Citons d’abord le dojo de Chibana Chôshin, dans les années 1920, puis celui de Nagamine en 1947.

A l’inverse, Miyagi Chôjun, par exemple, n’en posséda jamais un.

 

Avec l’implantation des dojos, on vit aussi se généraliser le kamidana, et le cérémoniel de salut institué dans les cours de jûdô et de kendô.

 

Saluer, par ordre d’importance, l’autel, puis le maître, et enfin les élèves, fait partie du fondement des arts martiaux japonais. Et cet usage s’est généralisé à Okinawa, même s’il reste des dojos qui saluent les ancêtres, les figures de l’école, et qui ne possèdent pas d’autel shintô.

 

 

 

     Ainsi, on entend d’abord :

Shinzen ni (taishite) rei : saluer le dieu (qui est dans l’autel)

     Puis :

Sensei ni (taishite) rei : saluer le maître

      Et enfin

O-tagai ni (taishite) rei : saluer les élèves (qui s’entraînent ensemble).

 

 

Le premier salut  est un rite shintô, ni plus ni moins. Shinzen signifie littéralement « être devant (zen ) le[s] dieu[x] (shin = ) ».

C’est par exemple un mot que l’on emploie aussi dans les cérémonies de mariage japonaises traditionnelles, donc shintô.

Le protocole de la famille impériale japonaise (qui représente quand même sur terre les dieux du Japon puisque descendants de la divinité du soleil Amaterasu, ce n’est pas rien) emploie aussi abondamment ce mot.

 

Vous l’aurez donc compris, ce terme est chargé de sens, et il ne peut aucunement s’accommoder avec une vision laïque de la pratique. D’ailleurs le concept de laïcité n’existe pas au Japon.

 

 

Alors, vous allez me dire, « oui mais parfois , on entend shômen ni rei, à la place de shinzen ni rei » !...

 

Et vous aurez raison.

 

      L’emploie du terme shômen, et du concept qui va avec, désigne cet espace où devrait se trouver l’autel/kamidana… Ainsi, si pour une raison ou une autre il n’y en a pas (entraînement dans un gymnase, dans la nature), ou bien parce qu’il n’est pas possible pour les pratiquants de se prosterner devant un dieu différent du leur (je doute qu’en Arabie Saoudite, par exemple, il soit possible pour des Musulmans de faire acte déférence devant un autre dieu que le leur), on salue simplement cet espace dit « le devant » « ce qui fait face » = shômen, littéralement la vraie façade.

 

Alors au final, est-ce que pour des non-Japonais, cette différence entre shinzen (à ne pas confondre avec shizen, la nature) et shômen est capitale ?

Sans doute que non.

 

Il est par contre davantage significatif de constater que des usages purement japonais ont été insérés dans le karate et les kobudô okinawanais… mais cela n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de l’acculturation qu’ont connue ces arts martiaux, comme l’adoption de la tenue keikogi, ou de la ceinture noire dan.

 

Pour découvrir de l'intérieur l'organisation des arts martiaux okinawanais, lisez

Karate et kobudô à la source